Dès
qu'un enfant commence à tenir une plume et qu'il cherche à imiter tant
bien que mal une lettre, une syllabe, un mot, une phrase, il est
essentiel qu'il sache quelle lettre il fait, quel mot il écrit, quelle
phrase il reproduit. Il faut que ce qu'il trace soit pour lui autre
chose que des traits, il faut en un mot que l'enfant puisse lire son écriture. Ce n'est qu'à cette condition seule que les premiers exercices de copie seront fructueux.
Quand
les enfants commencent à lire couramment les histoires de leur premier
livre, ils doivent être déjà exercés à l'écriture. Si, à mesure qu'ils
ont parcouru les cahiers de leur méthode, le maître a eu soin d'agir
comme il vient d'être dit, ils doivent savoir lire l'écriture lisible, à
peu près comme ils savent lire le livre. Alors, il est bon de leur
faire copier avec soin quelques phrases, une courte leçon déjà lue,
expliquée et comprise. La leçon de lecture suivante, au lieu d'avoir
lieu sur le livre, sera donnée au moyen des copies. Chaque enfant lira
son travail. Puis tous les enfants d'une même division, échangeant leurs
cahiers, liront la copie de leurs camarades, de telle sorte qu'ils
auront eu une leçon de lecture sur les manuscrits.
Si
le maître appelle l'attention des élèves sur la manière d'écrire
certains mots, sur leur signification, sur les fautes commises dans le
devoir, il peut faire servir le simple exercice de copie à une leçon de
révision, en faire un véritable devoir d'orthographe d'usage. Que le
maître écrive au tableau noir quelques vers d'un morceau de poésie,
qu'il les explique, qu'il en exige une copie nette, exacte, et il aura
encore fourni à ses élèves la matière d'une leçon de récitation, d'un
exercice de mémoire. Les
copies, on le voit, bien surveillées, corrigées, expliquées, peuvent
fournir les éléments de tout un enseignement pour les petites classes. Et
ce serait bien à tort qu'on croirait, en les proscrivant, réaliser un
progrès, surtout dans les écoles à classe unique, où le maître n'a pas
d'autre expédient pour utiliser toujours, quoique diversement, le temps
de tous les élèves. Ce qu'il faut blâmer et arrêter impitoyablement,
c'est l'abus de la copie inintelligente, machinale et monotone. Dans
quelques écoles, heureusement de plus en plus rares, on retrouve encore
des cahiers entiers remplis par des copies que le maître n'a jamais
vues. C'est tout le fruit qui reste de longues heures pendant lesquelles
les enfants n'ont pas employé, mais tout simplement perdu, leur temps à
griffonner au hasard, sans soin comme sans intérêt de leur part ni de
la part du maître. C'est ce qu'on appelait faire des pages, c'est-à-dire
ne rien faire : le seul but de la copie et sa seule raison d'être a été
de laisser au maître quelques instants de répit en donnant aux élèves
un semblant d'occupation. Mieux eût valu les envoyer jouer dans la cour.
L'exercice
de la copie n'est bon dans une classe que s'il y est aussi
méthodiquement réglé que les autres exercices scolaires, s'il a son
heure et son programme comme les autres, s'il a sa marche graduée, s'il
est précédé des explications et suivi des corrections qui donnent du
prix à tout travail de classe, s'il ne tombe jamais ni au rang de remplissage dans les moments perdus, ni à celui de pensum avoué ou déguisé.
Savoir
bien copier, c'est tout ensemble savoir bien lire et bien écrire ;
c'est savoir aussi bien voir, bien retenir, bien fixer son attention et
bien comprendre ce qu'on fait. Ne
savoir que copier et n'apprendre en copiant qu'à copier, c'est ne se
préparer qu'aux emplois les plus restreints, c'est rétrécir et paralyser
en soi-même pour l'avenir l'esprit d'initiative, de jugement, de
raisonnement. Que nos élèves d'école primaire soient donc d'habiles
copistes, il le faut, mais qu'ils le soient en quelque sorte par
surcroît, et sans avoir payé cet apprentissage ni par une trop grande
dépense de temps, ni surtout par le sacrifice d'aptitudes supérieures."