Transhumanisme (lecture pour les parents)

Lu sur Agoravox.fr (rédigé par Clojac)
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-pilule-qui-rend-plus-217791

Vous voudriez changer de vie ? Être plus intelligent, plus séduisant, plus riche ?
La pilule miracle d'Eddie Mora est faite pour vous ! Arnaque le plus souvent... Mais pas toujours. Au point que les maîtres du monde prennent très au sérieux ce qu'ils perçoivent déjà comme une menace contre leur pouvoir et leurs intérêts.
Ainsi au forum de Davos 2013, un chapitre entier du rapport annuel était consacré aux « capacités surhumaines prévisibles dans un avenir proche » mettant en garde les participants contre le développement d'intelligences supérieures susceptibles de leur nuire. IA et surdoués même combat !

De la science fiction ? Vraiment ?
Le scénario du film "Limitless" repose sur un fantasme quasi-universel : Comment devenir un génie à qui tout réussit quand on est un individu ordinaire confronté aux contraintes quotidiennes de la vie ?
Pour ceux qui n'ont pas vu le film, un écrivain raté, largué par sa copine, rencontre un vieil ami dealer qui lui fait tester l'AZT, une nouvelle molécule de synthèse. Un stimulant cognitif de la classe des nootropes qui booste le cerveau. Et notre homme écrit un best seller en une nuit, devient capable d'apprendre n'importe quelle langue en quelques heures et parvient à s'enrichir en anticipant les flux de la bourse par la seule qualité de son raisonnement. Mais ce "produit miracle" le rend malade, s'en procurer devient une course d'obstacles et la possession de la formule chimique suscite bien des convoitises... C'est la trame d'un thriller dont je ne vous dévoilerai pas l'intrigue, mais qui mérite d'être vu.
Le pitch repose sur un postulat selon lequel nous n'utiliserions qu'une petite partie de notre cerveau, le reste attendant qu'on le stimule de façon adéquate...
Les neurologues réfutent cette théorie. Faisons confiance à ces spécialistes mais notons que l'imagerie médicale montre que toutes les zones du cerveau ne fonctionnent pas en même temps. Et si la cartographie cérébrale affecte à chaque secteur une fonction, on sait aussi que ces spécialisations ne sont pas figées. La plasticité du cerveau lui permet des reconstitutions fonctionnelles après un accident, ou même une "réparation" à un âge avancé, contrairement à ce que l'on avait longtemps professé.
N'y aurait-il pas entre ces observations rendues possibles par la science moderne un étroit passage permettant de solliciter des zones momentanément en jachère ?

Le mythe de l'humain amélioré
Dans la pharmacopée d'aujourd'hui, les nootropes autorisés (ou pas...) sont prisés des étudiants à l'approche d'un examen, de certains artistes avant d'entrer en scène, des traders opérant sans filet sur les marché financiers et des postulants sur le point d'être épluchés par un chasseur de têtes. Ajoutons-y pour faire bonne mesure les champions d'échecs et les joueurs de poker professionnels.
Ces produits classés comme compléments alimentaires sont de savants mélanges de caféine, de théanine, de vitamines, de protéines, de gincko, de ginseng, de phosphore... Le corps médical est assez réservé sur les effets réels de ces adjuvants qui soutiennent les capacités d'attention et retardent le moment où apparaît la fatigue, sans pour autant faire gagner 20 points de QI. Certains les tiennent pour des placébos. Inoffensifs avec un léger effet à la marge, ne serait-ce que par la confiance en soi qu'ils induisent. Surtout quand, à l'analyse, ils s'avèrent être des poudres de perlimpinpin.
Par contre, les professionnels de santé dénoncent les risques sanitaires et de dépendance lorsqu'on y ajoute des psychostimulants comme le piracétam ou l'adrafinil autorisés en France sur ordonnance pour retarder les effets de la sénescence. Ou encore le méthylphénidate, un antidépresseur délivré uniquement sur prescription médicale mais pour lequel il existe un véritable marché noir. Et chacun sait que le web se joue des frontières... Même si pas mal de vendeurs sur Internet surfent entre publicité mensongère, copie approximative et escroquerie pure et simple.

En toute hypothèse, on parle de « smart drugs » par opposition à la coke qui donne l'illusion d'avoir décuplé sa puissance intellectuelle jusqu'à ce que « la descente » ramène à une réalité moins glorieuse avec troubles cardiaques et nerveux, dépendance, et in fine altération des capacités cognitives.
On retrouve dans toutes les mythologies, sous forme de héros et de demi-dieux aux performances époustouflantes, « l'homme amélioré » qu'on pourrait qualifier d'archétype jungien. Mais c'est aussi hélas un thème récurrent des idéologies totalitaires dont il conforte la prétention de changer le monde, en commençant par ce qu'il a de plus malléable.
L'homme nouveau soviétique et le surhomme nazi en sont des exemples récents, "justifiant" l'élimination de ceux qui ne sont pas dignes de faire partie de l'élite. Tandis que les camps de rééducation Viets et Chinois prétendent, grâce à des exercices appropriés et un lavage de cerveau sur une longue période, offrir aux "égarés" une chance de s'améliorer.
D'aucuns voient dans le transhumanisme une version civilisée de cette croyance selon laquelle on peut manipuler l'évolution humaine et l'orienter vers un monde meilleur. Mais pour qui ? Telle est la question.

Les gagnants du cursus de la vie sont-ils dopés ?
De façon plus sympathique, le québécois Nicolas Le Devedec professe que notre société postmoderne exige toujours davantage de l'être humain, pas seulement dans le sport mais dans tous les domaines de la vie sociale et de l'activité économique. Et que pour répondre à cette pression, l'éducation, la culture, le professionnalisme et le travail acharné ne suffisent plus.

Si on ne veut pas faire partie des losers, oubliés sur les bas côtés de la route du progrès, il faut se surpasser par tous les moyens que la technoscience met à notre disposition. Pour aboutir à « l'humain augmenté ».Vision inquiétante mais pas si irréaliste d'un monde de concurrence forcenée où le challenge permanent devient une sorte de religion laïque. Peu humaniste mais très darwinienne.
Il faut être sinon le meilleur en tout, du moins viser l'excellence dans son domaine de compétence et préserver des apparences flatteuses. Les psychostimulants et la chirurgie esthétique deviennent des clés essentielles de la réussite. Sans s'attarder sur un point essentiel : Que devient le libre arbitre quand on instrumentalise les pulsions et les répulsions, pour soi et pour les autres ?

Une idée était dans l'air dans les années 60, l'hypnopédie, quand on pensait favoriser la mémorisation de données complexes en profitant des états de réceptivité optimale liés aux courants bioélectriques du cerveau enregistrés par les électroencéphalogrammes. Les leçons données pendant le sommeil (ondes delta) la méditation (ondes alpha et thêta) l'hypnose ou un coma léger provoqué (ondes gamma) étaient supposées accélérer les apprentissages. On s'aperçut vite que cela provoquait des troubles du sommeil aboutissant à l'effet inverse.

Si l'on s'en tient aux seules facultés de mémorisation spécialisée, qui ne sont qu'une facette utilitaire de l'intelligence, celles-ci sont renforcées par des stress soutenus en situation de contrainte. Les militaires ont été les premiers à les pratiquer depuis l'entraînement des hordes barbares jusqu'à la formation des pilotes de chasse. Mais on s'est aperçu à notre époque que le stress pouvait aussi être bénéfique aux individus qui réfléchissent de manière hypothético-déductive dans un contexte émulatif. Toutefois les réponses émotionnelles variant d'un individu à un autre constituent une variable aléatoire que les théories ont du mal à intégrer.

La stimulation cérébrale mécanique
Dans des films d'anticipation du style "limitless", un autre aspect de la super intelligence est évoqué : celle résultant de la stimulation transcranienne à l'aide d'électrodes générant des courants électriques parcourant et reliant entre elles certaines zones du cerveau après avoir amplifié leur activité.
Depuis quelques années, de façon plus ou moins reconnue, des communautés de chercheurs en Europe et en Amérique s'activent dans le domaine de la stimulation cérébrale électrique. L'objet avoué de ces recherches est de venir à bout des états dépressifs les plus graves. Mais chemin faisant, on glisse vers la stimulation cognitive par guidage des ondes du cerveau vers de meilleures performances.
Ainsi est-on parvenu à réduire de 30% le temps d'apprentissage d'une langue étrangère et de 50% celui de la formation des pilotes de drones. En utilisant conjointement des nootropes qu'on ne trouve pas dans le commerce. Avec au bout du traitement de sévères burn out dont on préfère ne pas se vanter.
Pour le moment, les déboires du neurologue britannique Hence Kennedy, 66 ans en 2014, incitent à aller à petits pas dans la voie expérimentale. Opéré selon ses instructions au Belize (où c'est permis) il s'était fait implanter des électrodes dans le cerveau, pour avoir la possibilité de communiquer directement avec un ordinateur. Après 11 heures et demie d'intervention (pour US $ 30.000 payés de sa poche !) il a perdu la parole et la mémoire. Il ambitionnait de devenir le premier cyborg. C'est un légume. La promesse de l'éternité par transfert de l'esprit dans un support numérique n'est pas pour demain.
Où se situe la limite ultime des biohackers ? « Upgrade your brain » disent-ils. Ces intrépides explorateurs de la psyché paient parfois de leur vie des expériences qu'ils mènent sur leur propre personne. Comme Aaron Traywik, fondateur de la start up Ascendance biometical mort en 2018, à 28 ans, dans un caisson d'isolation sensorielle, après s'être injecté un cocktail de substances supposées modifier des séquences répétitives de l'ADN. Pas si irréaliste que ça, des outils d'ingéniérie du génome ont déjà été expérimentés, en particulier la protéine Cas 9 qui contrôle le blocage ou l'activation de certains gènes.
Même si la Chine et la Russie poursuivent des recherches similaires sans trop communiquer sur le sujet, Hé Jiankui a annoncé en 2018 que son équipe avait réussi à recoder in vivo le génome d'embryons humains. Une publication faite avec l'accord implicite des dirigeants chinois trop fiers de montrer au monde entier leur avance dans le domaine CRISPR. Même si ensuite ils ont émis des réserves afin de ne pas inquiéter le concert des nations.

Plus beau parce que plus intelligent ?
Einstein était un grand séducteur. Son aura hors norme faisait oublier sa distraction proverbiale et son allure empêtrée. Plus près de nous, Henry Kissinger qui n'était pas un parangon de la statuaire grecque a mis dans son lit quelques unes des plus belles stars de Hollywood. Trop riches pour qu'on puisse les soupçonner d'être intéressées. Et ne parlons même pas de l'idylle Bardot-Gainsbourg. Contre un QI de 180, le bogosse simplet au corps d'athlète a-t-il encore une chance ? :-)
Le charisme assorti à une élocution facile présente un autre avantage indispensable de nos jours pour assurer la réussite sociale : celui de favoriser l'accès au médias et de rendre moins contraignant l'asservissement aux diktats de la doxa dominante. Si celle-ci encense en priorité ceux qui adhèrent à ses adorations et partagent ses détestations, la dictature soft cajole aussi les personnalités atypiques pourvu qu'elles soient télégéniques parce que c'est bon pour l'audimat.
On peut tolérer un électron libre pour amuser des masses bien formatées et leur donner l'illusion de la liberté. L'impertinence calibrée assortie à un look décalé fait le succès de certains talk shows.
Une façon de ne pas enterrer tout à fait le paradigme des Lumières selon lequel la finalité de l'être humain est de conquérir son autonomie sociale et d'affuter sa liberté de penser.

Les recettes naturelles
Elles sont connues depuis la nuit des temps. Les Égyptiens, les Grecs, les Romains les ont résumées dans une formule : un esprit sain dans un corps sain.
Empiriquement les anciens avaient pressenti une découverte de la science moderne : la neurogenèse ou aptitude du cerveau à fabriquer de nouveaux neurones et à connecter de nouvelles synapses, est favorisée par l'exercice physique. Faire fonctionner ses muscles augmente l'oxygénation et l'alimentation du cerveau parce que la pression sanguine augmente de même que la consommation de sucres tandis que se libèrent des endorphines et que l'activité des neurotransmetteurs s'accroît. Tous les rouages de l'usine à penser se mettent en mouvement accéléré.
Vu sous cet angle, le cerveau (bien que composé de graisses à 60%) réagit comme un muscle. Souvent sollicité, il se développe. Inemployé, il s'atrophie.

Dans un environnement sain, où l'on consomme peu d'alcool, où l'on évite les carences en vitamines, l'excès comme le manque de sucres, et où l'on a un apport suffisant en antioxydants (ce qui est valable pour tous les organes) le meilleur moyen non seulement de conserver son cerveau intact le plus longtemps possible, mais aussi de l'améliorer au fil du temps, est de le faire travailler.
Concrètement, cela veut dire ne pas céder à la facilité.

Pratiquer le calcul mental plutôt que tapoter sa calculette, se concentrer pour trouver le mot ou l'expression qui vous échappe plutôt que demander à Gogol ou à wiki, éteindre le GPS pour lire et interpréter une carte, se lancer de nouveaux défis comme apprendre une langue étrangère, jouer d'un instrument de musique, s'initier au parapente, dessiner, peindre, s'adonner au jeu de go ou aux échecs, voyager, tomber amoureux... Bref se surprendre et étonner son entourage.
L'intelligence logique est nécessaire mais pas suffisante. Elle dépérit faute d'exercice soutenu de l'intelligence sociale. En outre, elle est aiguisée par l'imagination, la pratique d'une activité artistique, la créativité, le rêve et le rire. On n'a pas encore inventé le cachet qui remplace tout ça.

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À lire
https://siecledigital.fr/2019/08/27/danemark-lia-est-utilisee-pour-suivre-le-comportement-et-les-performances-des-eleves/

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